446901 visiteurs
4 visiteurs en ligne
DOMINIQUE
UN ARTISTE EXCEPTIONNEL
ET UN PUR PRODUIT REGIONAL
Né à Toulouse en 1903, mort prématurément en 1965, Dominique a laissé, dans les vingt départements méridionaux où ses dons d'amuseur ont fait durant tant d'années le régal de millions d'auditeurs et de spectateurs, le souvenir d'un artiste au talent exceptionnel.
Artiste d'exception, Dominique l'était incontestablement. Et tout aussi exceptionnels furent, sans aucun doute, le « phénomène Catinou », comme l'entreprise de spectacle dont il fut l'âme et le support.
On trouverait difficilement l'équivalent dans notre Midi, et pas davantage dans aucune région de France, où on n'a jamais vu, autour d'une vedette du cru ne devant rien au « show-business», une troupe autochtone vivre durant plus de quinze ans, et de la façon la plus authentiquement professionnelle, de son seul succès, sans aucune aide, sans la moindre subvention d'aucune sorte ; donnant régulièrement plus de trois cents représentations par an et remplissant partout les salles, aussi bien aux Variétés de Béziers ou au théâtre du Capitole que dans une grange de l'Ariège ou dans une prairie du Ségala, aveyronnais.
Liée à son inoubliable création du personnage de Catinou, cette performance absolument unique restera inscrite comme un fait marquant dans l'histoire du théâtre populaire des terroirs occitans. A elle seule elle suffirait à attester le grand talent de Dominique, talent que tous les professionnels du spectacle et des plus chevronnés qui eurent l'occasion de le voir sur scène étaient unanimes à saluer.
Comme tant d'autres, Dominique avait fait ses débuts sur les planches, dans des spectacles d'amateurs, au Cercle de la Daurade, à Toulouse, où il eut la chance d'être à bonne école. A dix-huit ans déjà il se taillait de beaux succès dans le répertoire, alors fort en vogue, de «comique troupier ».
Comme certains chanteurs ont « la voix du Bon Dieu », Dominique était né avec des dons de comique naturels qui se manifestaient sans effort. Il était de cette espèce rare d'artistes qui n'ont qu'à paraître sur scène pour que la salle croule sous les rires.
Tout en rondeur, le visage très expressif et mobile, le regard pétillant de malice, en plus d'un sens inné de la mimique, du geste, du mot qui déclenchent le rire, il avait, rayonnant de toute sa personne, cette jovialité cordiale qui est typique de notre Midi.
Et une jovialité permanente. En effet, il n'avait rien de ces « clowns tristes » qu'une légende voue à la neurasthénie dès qu'ils sont hors des regards du public.
Il avait par ailleurs un dynamisme tout à fait hors du commun, impétueux et tout aussi communicatif. « Renoum de noum ! La sanquetto del paure pepi !... » (Renom de nom ! Le sang du pauvre grand-père !), lançait-il à ses copains avant de foncer en scène comme un boulet, les entraînant irrésistiblement dans son sillage.
Il vivait intensément ses rôles avec une telle chaleur, une telle vérité que ses partenaires en étaient parfois décontenancés. Dans certaine scène où Catinou, houspillant son Jacouti, le jetait dehors en le menaçant du balai, Dominique maniait cet ustensile avec une telle ardeur que le brave Labat (le premier interprète de Jacouti) en avait des sueurs froides. Il avait beau déguerpir avec toute la vélocité dont il était capable, chaque fois il sentait passer au ras de ses fesses le coup de balai lancé d'une poigne vigoureuse.
« Fais donc attention ! dit-il un soir, dans les coulisses, à Dominique. Tu pourrais me faire mal...
- Hé ! C’est à toi de faire attention ! répliqua Dominique. Moi, quand je joue, je joue !
- Tu m'assommerais ?
- Parfaitement. »
Labat en resta pantois et Dominique continua chaque soir à casser un balai sur les traces d'un Jacouti qui, sachant à quoi s'en tenir, avait acquis la détente d'une gazelle pour se mettre hors de portée.
Cette fougue -que les Toulousains baptisent chez les ténors d'opéra la « vaillance»-, cette remarquable spontanéité allaient chez lui de pair avec un instinct mais aussi une science et une expérience profonde de la scène qu'il avait acquises au contact d'auditoires très divers. Il s'était formé à l'incomparable école du « tour de chant » où l'artiste, seul face à son public, doit, pour le conquérir, savoir utiliser toutes ses ressources et en tirer le meilleur parti.
A toutes ces qualités qui lui avaient valu de remporter le Premier Prix de comique de genre au concours de Pau en 1937, il ajoutait enfin une sensibilité extrême.
Rejoignant en cela quelques-uns des plus grands « comiques », de Chaplin à Fernandel, il éprouvait un plaisir profond à jouer des rôles sentimentaux, voire dramatiques. Il affectionnait les scènes attendrissantes où il pouvait pincer la corde sentimentale, et entre deux rafales de rires obtenir de son auditoire un silence ému et une larme au bord des yeux.
Cette aptitude à tout exprimer lui permettait de s'adapter aux personnages les plus divers. A l'âge de vingt-cinq ans, appelé à tenir, de façon impromptue, le rôle de Sancho dans « Don Quichotte amoureux », d'Augustin Dumas, sur la scène du Capitole, aux côtés de Reyval, de la Comédie-Française, son interprétation particulièrement émouvante lui valut son premier grand succès de comédien.
Par la suite, il triompha dans « Perdigal », de J. Suberville, dans le rôle du « teysseire» de «L'Ome blanc », de l'abbé Sarans, où il se montrait bouleversant. Il fut aussi la cheville ouvrière d'importants spectacles comme « Bertrand de Comminges », donné sur le parvis de Saint-Sernin, à Toulouse, ou « Les Albigeois », de Clavel, dans les arènes de Nîmes. De même apporta-t-il, durant de nombreuses années, sa contribution appréciée aux émissions dramatiques de Radio-Toulouse-Pyrénées. C'est toutefois le personnage de Catinou, auquel il s'identifia de façon inoubliable, qui devait lui valoir une extraordinaire popularité.
A l'époque où il rencontra Charles Mouly, en 1941, et lorsque fut lancée l'émission des Pescofis -où devait prendre vie Catinou- à l'automne 1944, Dominique, alors âgé de trente-sept ans, était encore «artiste amateur », ne se consacrant à la scène que les samedis et les dimanches, et travaillant toute la semaine comme préparateur en pharmacie dans une officine de la place Esquirol où il était entré comme « gafet » (garçon de courses) à l'âge de quatorze ans.
Il jouissait toutefois, dans toute la région toulousaine, d'une réputation de « comique » déjà bien assise. Son tour de chant, où il faisait alterner des chansons comme « Danse Hortense» ou « Félicie aussi », avec des histoires toulousaines comme « L'Ase de la Costo-Pabado», « La Vécisclette» ou « La Peyssounièro », remportait un énorme succès.
C'était à la fois un monument de drôlerie et un modèle du genre par le soin avec lequel chaque geste, chaque intonation, chaque « effet » avaient été réfléchis et mis en place.
Ce tour de chant durait près d'une heure. Une heure de rires ininterrompus qui emportaient le public comme une tornade. Une heure pendant laquelle Dominique, déchaîné, faisant feu de toute sa verve, tenait son auditoire à sa merci.
On peut s'étonner que cet artiste exceptionnel n'ait jamais songé à « monter à Paris » et se soit limité à exercer son talent à l'échelon régional -encore que son audience se soit étendue sur un territoire relativement vaste, allant de la Méditerranée à l'Atlantique et des Pyrénées au Massif Central.
On peut dire, en effet, sans exagérer, que Dominique était de la trempe des plus grands comédiens. Il avait l'étoffe d'un Raimu, d'un Fernandel, d'un Bourvil -dont il n'est pas sans intérêt de rappeler qu'ils étaient, comme lui, issus de l'école du « tour de chant », ayant débuté les uns et les autres dans le répertoire de comique troupier, dans la gaudriole ou la chansonnette, sur des scènes populaires.
Il est probable que si d'autres circonstances étaient intervenues en temps opportun dans sa carrière, il aurait pu atteindre à la même notoriété.
A la vérité -et c'est là que se révèle le côté original de sa personnalité-, ces circonstances il ne les rechercha jamais, et il ne se soucia pas de les provoquer.
A l'époque où son succès et sa popularité étaient à leur apogée, il fut invité à participer à un gala à Paris, et il fut sollicité pour tenir un petit rôle dans le film « Musique en tête ». Ces deux expériences le déçurent et il ne chercha pas à les renouveler. Quand d'autres propositions lui furent faites, il les refusa. Paris ne l'attirait pas et il n'éprouva jamais le besoin d'aller y glaner des lauriers. Il ne se sentait bien qu'à Toulouse et sous le soleil occitan, parmi ses amis, près de son public méridional.
Ce public l'avait adopté et l'avait consacré vedette. Il était heureux de ce succès et cette consécration lui suffisait.
Au demeurant, il avait des goûts simples et savourait le bonheur de vivre en famille dans sa petite maison de Guilheméry, construite avec ses cachets d'« amateur » patiemment mis de côté, auprès de Berthe, son amour de jeunesse, devenue sa compagne attentionnée, entouré de ses enfants, Roger et Andrée.
Il partageait ses moments de liberté entre le jardinage, la pêche à la ligne, la pétanque. Et il ne cacha jamais son penchant pour la bonne chère.
Simple et direct, mais d'une grande délicatesse de cœur, il avait le culte de l'amitié. Et quand il dut recruter une troupe pour entamer ses tournées, il ne la conçut jamais autrement que comme un groupe d'amis. Il avait besoin, pour vivre et travailler, de ce climat où il se sentait en confiance.
Ce climat d'amitié débordait du reste le cadre de la troupe pour englober son public. Partout où il faisait étape, même de façon épisodique, il nouait de cordiales relations. Ainsi était-il partout attendu non comme une vedette entourée d'une auréole de gloire plus ou moins factice et que l'on admire de loin, mais comme le joyeux compagnon que l'on aime bien et avec lequel on se réjouit de passer une agréable soirée.
Quand il passait sur la route, conduisant lui-même le petit car qui portait, inscrit en grosses lettres : « La Catinou », les paysans dans les champs, les villageois sur leur porte lui lançaient un jovial bonjour. Les gendarmes en tournée portaient la main à leur képi pour un amical salut.
Il lui suffisait de paraitre pour que les visages comme les cœurs s’épanouissent. Partout, et pour tous, il n’était plus Dominique, mais Catinou, l'incarnation d'une certaine forme de rire, mais aussi d'une certaine manière d'être dans lesquelles les gens de ce pays se reconnaissaient pleinement.
C'est là, sans aucun doute, le vrai secret d'un succès qui tenait, certes, à son talent, mais tout autant à cette réalité : avant même d'être un artiste pétri de dons, Gaston Dominique (c'était sa véritable identité) était d'abord « du pays » par toutes les fibres de son cœur.
Né place de la Croix-de-Pierre, sur les berges de la Garonne, la langue d'oc avait été sa première langue et son enfance avait baigné dans une ambiance populaire qui le marqua à jamais.
Pur et authentique produit régional, il eut le mérite de le rester, ne reniant rien de ses origines mais s'affirmant, au contraire, dans ce qu'elles comportaient de plus original, ce qui lui permit de toucher son public comme personne n'avait su le faire avant lui. Pour, en définitive, s'inscrire en faux contre ces assertions selon lesquelles « nul n'est prophète en son pays» ou, encore, « nul ne saurait prétendre à la réussite s'il n'a reçu la consécration de Paris ».